Dards d\'Arts

Un médaillon en bronze doré attribué par erreur à Jean Varin (Liège, 1607-1672, Paris)

Dormans Roland

 

Fig. 1 : Saint Paul (?) par Jean Varin ( ?)

 

Saint Paul ( ?)

 

Médaillon en bronze doré

H. 13,7 cm, L. 10,8 cm

Relief majeur sur tête 18 cm

En buste, à droite, signature en creux à gauche I. WARIN – 1630

Don à la ville de Liège de M. Willems, Ingénieur à Chênée (1921)

Musée du Grand Curtius

Liège

Belgique

 

Attribué non sans hésitations par Pény à Jean Varin. Sans doute un faux récent (XIXe ou début XXe)

 

Bibl. PÉNY, Frédéric, Jean Varin de Liège (1607-1672), Liège, 1947, pp.56-58 ; PHILIPPE, Joseph, Liège, terre millénaire des arts, Liège, 1980, p.110.

 

 

Ce médaillon serait l’unique sujet religieux dans l’œuvre de Varin. Cet unicum et l’absence d’attributs soulèvent d’emblée le doute même si, pour un œil peu averti, ce type de tête pourrait "en gros" correspondre au prototype paulinien largement exploité par les artistes durant  le XVIIe siècle. La comparaison avec le saint Paul en médaillon de Del Cour, actuellement en l’église Saint-Étienne à Hoeselt, est assez intéressante mais in fine peu probante (fig.2). Certes, cinquante années sépareraient les deux œuvres mais un saint Paul conservé au Palazzo Ducale de Mantoue peint vers 1607 par Domenico Feti montre déjà une tête assez comparable (fig.3). Toutefois, le trait sommaire, lourdement statique du médaillon ne relève en rien du dynamique baroque italien si bien entendu par Jean Del Cour et ne colle pas plus à la ligne sobre et à la facture classique française des œuvres de Jean Varin (fig.2-5). De plus, l’œuvre provenant d’une collection privée est apparue brusquement et il n’a pas été possible d’en reconstituer l’historique. Faut-il croire la signature fausse ? Liège n’a jamais manqué d’habiles graveurs sur armes et certains pourraient bien avoir eu la tentation d’augmenter la valeur d’une pièce en l’ornant d’une signature prestigieuse…

 

À y regarder de plus près, d’autres éléments posent sérieusement question : le vêtement porté par l’apôtre ne correspond pas aux représentations du temps, la couture de la manche n’est conforme ni aux pratiques du siècle, ni à l’image qu’avaient les artistes de l’habillement au début de l’ère chrétienne ; le traitement des plis est lourd, sans vie, dépourvu de naturel et le burinage appliqué et scolaire relève plutôt des pratiques des graveurs sur armes que de la technique des sculpteurs du XVIIe ; la main est assez bien modelée mais elle est trop fine relativement  à la corpulence de la figure et surtout sa forme et la position des doigts semblent provenir directement d’un modèle du XVe siècle quasi-exclusivement réservé aux mains féminines : même si le graveur a accentué les veines saillantes pour la vieillir, il est évident que le modèle a été trouvé dans l’œuvre de Rogier Van der Weyden (fig.6) ; remarquez le pouce largement ouvert, l’index et le majeur en V, les articulations saillantes et la légère flexion des doigts entre la première et la deuxième phalange ; au XVIIe siècle, la main sculptée qu’elle soit féminine ou masculine est plus ronde et plus charnue ; les mains sculptées par Jean Varin ne dérogent jamais à ce type (fig.7). Par ailleurs, même si l’idée d’une main posée sur la poitrine pourrait avoir été vaguement inspirée par un Saint Pierre de Van Dyck (fig.8), la pose du bras et de la main n’appartient pas à la rhétorique gestuelle du baroque, fut-il flamand, encore moins à celle du classicisme français, mais renvoie à l’emphase néo-gothique du XIXe finissant et est en dissonance avec le profil, dont il faut encore noter l’inexpressive et inélégante dureté en opposition totale avec le style de Varin. Tant d’anachronismes et de maladresses désignent non seulement une fausse signature mais un faux intégral, sans doute réalisé en guise d’exercice d’école par un facétieux graveur sur armes liégeois à la fin du XIXe, ou au début du XXe siècle.

 

Fig. 2 Del Cour, Jean, Saint Paul, 1679, bas-relief en marbre blanc, Hoeselt, église Saint-Étienne (provient du jubé de l’ancienne collégiale Saint-Pierre à Liège).

 

 

 

 

Fig. 3 Feti, Domenico, Saint Paul, 1607, détail, Palazzo Ducale, Mantoue.

 

 

 

 

Fig. 4 Varin, Jean, Buste du cardinal Richelieu, bronze, 1640, bibliothèque Mazarine, Paris.

 


 

 

Fig.5 Confrontation des figures 1- 4

 

 

    

 

Que manque-t-il au médaillon liégeois par rapport au baroque italien ? L’élan dynamique de la figure renforcé par le vigoureux coup de vent qui emporte barbe et chevelure.

Et par rapport au classicisme français ? La longueur, l’élégance et la souplesse des lignes accentuées par la douceur arrondie des creux, d’où le modelé ferme mais jamais dur.

 

Fig. 6 Comparaison de la main du médaillon avec une main peinte dans les années 1440 par Rogier van der Weyden (main gauche de Marie-Madeleine, détail d’une Crucifixion, huile sur bois de chêne, 77 X 47 cm, Staatliche Museen, Berlin)

 

    

 

 

Fig. 7 Varin, Jean, avers de la médaille Anne d’Autriche et Louis XIV enfant, bronze, 1638, Musée du Louvre, Paris, (© Grand palais, musée du Louvre / Daniel Arnaudet)

 


 

 

Fig. 8 Van Dyck, Antoine, Saint Pierre, s.l., s.d., s.f. (vente Sotheby’s 2009 ?)

 

 




13/08/2012
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